TikTok au Sénat: la plateforme respecte-t-elle le droit d’auteur en France?

TikTok au Sénat: la plateforme respecte-t-elle le droit d’auteur en France?

TikTok. Depuis le lundi 13 mars, la commission d’enquête au Sénat concernant TikTok a débuté. L’objectif est de comprendre comment l’application fonctionne, où vont ses données et quelle est la stratégie d’influence la concernant. Pour mener à bien ce travail, un Bureau a été constitué d’une douzaine de sénateurs. Mickaël Vallet, sénateur socialiste de Charente-Maritime, dirige les discussions. Il est accompagné de Claude Malhuret, sénateur de l’Allier, en tant que rapporteur. Ils sont entourés d’une dizaine de vice-présidentes et vice-présidents présents lors des échanges avec les spécialistes.

« L’actualité aux États-Unis, au Canada, et en Europe, confortent notre initiative au Sénat. Nous ne sommes pas en mesure d’affirmer que TikTok n’est pas un instrument potentiel de désinformation ou de manipulation au profit de régimes non démocratiques, ni que son utilisation est sûre au regard de la nécessaire protection des données. La commission d’enquête permettra de faire toute la lumière sur ces questions et fera des recommandations », indique Claude Malhuret sur le site du Sénat.

Les auditions de la commission d’enquête sont diffusées en direct et sont disponibles en replay sur YouTube. Nous avons pris le temps de les regarder en intégralité pour vous faire un résumé de ce qu’il s’est dit. Le mercredi 3 mai, ce sont Pascal Rogard, directeur général, et Patrick Raude, secrétaire général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), qui ont été conviés à prendre la parole sur leur relation avec TikTok.

La situation « inédite » avec TikTok

Avant de se pencher sur le cas de TikTok, les deux invités ont tenu à préciser leurs relations avec les autres réseaux sociaux. « Nous avons traité avec l’ensemble des plateformes. La première, je crois, que c’était en 2010, avec YouTube », indique Pascal Rogard. La SACD a ainsi pu s’entretenir et passer des contrats avec des groupes comme Meta, Netflix, Disney ou encore Amazon. Mais en ce qui concerne l’application de ByteDance, les discussions ont du mal à débuter. Il y a environ un an, la SACD s’est entretenue avec Eric Garandeau, directeur des affaires publiques chez TikTok, mais aussi inspecteur des finances, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy et ancien président du Centre national du cinéma.

« Avec TikTok, nous sommes dans une situation complètement inédite. Avant de commencer les négociations, on signe un accord de confidentialité et on s’engage à ne pas parler des négociations, des sujets de la négociation et des montants qui peuvent être en jeu. Ce que nous a demandé TikTok allait bien au-delà de ça. Ils nous ont demandé de ne même pas le dire à notre conseil d’administration, donc aux auteurs qui nous ont mandatés, que nous étions en discussion avec eux. Ce qui fait que l’on n’a pas pu aboutir à la signature d’un accord de confidentialité et que l’on s’est engagé dans des négociations par l’intermédiaire d’avocats, ce qui garantit la confidentialité, mais c’est un processus très compliqué », confie Pascal Rogard. Il répétera à plusieurs reprises que la situation est « inédite » et qu’il « n’a jamais connu ça ».

Si la SACD souhaite engager la conversation avec TikTok, c’est pour protéger les oeuvres qu’elle représente et permettre aux artistes d’être rémunérés. Car toutes les musiques et sons issus de sketchs repris ici et là, ne sont pas libres de droit. « Nous avons de nombreux autrices et auteurs qui nous indiquent que leurs oeuvres, sans leur accord, sont coupées en petits morceaux, ce qui dénature complètement le droit moral de ces auteurs », indique Patrick Raude. Qu’est-ce qui bloque autant l’application à ne pas vouloir travailler main dans la main avec l’institution? C’est la grande question.

« YouTube nous communique de gros fichiers extrêmement riches qu’on retraite informatiquement et où l’on identifie l’intégralité des oeuvres que l’on représente par des moyens informatiques normaux. TikTok aujourd’hui nous dit: dites-moi quelles sont vos oeuvres sur TikTok? Et quand vous m’aurez dit ça, on pourra commencer à discuter », poursuit le secrétaire général de la SACD. « Il faut que l’on puisse évoluer le poids de notre répertoire au sein de la plateforme et TikTok, qui a notre connaissance n’est pas une entreprise dénuée de capacités en terme d’IT, d’intelligence artificielle, est normalement beaucoup plus dotée dans ces matières que la SACD, prétend ne pas être en mesure de nous donner le moindre fichier informatique pour reconnaître nos oeuvres. On ne sait pas si on a 5000 oeuvres ou 50.000 oeuvres sur TikTok. On ne sait pas si elles représentent 5 milliards de vues ou 50 milliards de vues et ça, on ne pourra le savoir que lorsque l’on aura pu rentrer dans des discussions très concrètes avec TikTok. Ça fait 2 ans qu’on attend. C’est le poids de notre répertoire sur la plateforme qui nous permettra d’avancer dans les discussions du prix », conclut-il.

La stratégie « choquante » de TikTok avec les institutions culturelles

En plus de ne pas pouvoir discuter sérieusement avec la plateforme, un autre souci se pose aux yeux de Pascal Rogard. « Ce qui nous a choqué, c’est que d’un côté, le droit d’auteur n’est pas respecté. Il n’y a même pas de discussions qui sont engagées. De l’autre côté, vous avez une entreprise qui va chercher l’influence culturelle. Ils on nommé pour cela l’ancien président du centre nationale de la cinématographie, Eric Garandeau, qui a également été conseiller du président Nicolas Sarkozy pour la culture et la communication, et qui a un carnet de chèque, avec lequel il achète les institutions culturelles. Il a par exemple un partenariat avec le Festival de Cannes. […] Il y a toute une série d’opérations d’influence qui vise à montrer que TikTok a un rôle à jouer dans le domaine de la culture alors même qu’il ne respecte pas ce qui est fondamental, sur lequel la France a beaucoup agi, qui est le droit d’auteur. Donc on est dans une logique d’obstruction », explique-t-il.

Depuis plusieurs années, TikTok multiplie en effet les partenariats avec les institutions culturelles. Le dernier en date est celui avec le festival du livre organisé à Paris où le réseau social est devenu le partenaire officiel. Le second, qui fait le plus parler, concerne le Festival de Cannes. Depuis 2022, l’application a choisi de collaborer avec ce grand rendez-vous en organisant à ses côtés, une remise de prix pour les contenus courts. « Ce qui nous choque, c’est que nos institutions culturelles, pour des raisons financières, associent leur nom à une entreprise qui ne respecte aucunement l’une des valeurs capitale de notre pays en matière de culture, c’est le respect du droit d’auteur », s’indigne le directeur général de la SACD.

Malgré les avertissements et cette envie d’entamer de sérieuses discussions, tout est au point mort. Pascal Rogard s’inquiète également de ne pas comprendre comment, en France, l’équipe de TikTok est organisée pour savoir vers qui se tourner. « On est devant un mur d’opacité que je n’ai jamais rencontré depuis que je suis à la SACD, et ça fait 20 ans. »

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