TikTok au Sénat: voici « le début d’une guerre froide technologique sino-américaine »
TikTok. Depuis le lundi 13 mars, la commission d’enquête au Sénat concernant TikTok a débuté. L’objectif est de comprendre comment l’application fonctionne, où vont ses données et quelle est la stratégie d’influence la concernant. Pour mener à bien ce travail, un Bureau a été constitué d’une douzaine de sénateurs. Mickaël Vallet, sénateur socialiste de Charente-Maritime, dirige les discussions. Il est accompagné de Claude Malhuret, sénateur de l’Allier, en tant que rapporteur. Ils sont entourés d’une dizaine de vice-présidentes et vice-présidents présents lors des échanges avec les spécialistes.
« L’actualité aux États-Unis, au Canada, et en Europe, confortent notre initiative au Sénat. Nous ne sommes pas en mesure d’affirmer que TikTok n’est pas un instrument potentiel de désinformation ou de manipulation au profit de régimes non démocratiques, ni que son utilisation est sûre au regard de la nécessaire protection des données. La commission d’enquête permettra de faire toute la lumière sur ces questions et fera des recommandations », indique Claude Malhuret sur le site du Sénat.
Les auditions de la commission d’enquête sont diffusées en direct et sont disponibles en replay sur YouTube. Nous avons pris le temps de les regarder en intégralité pour vous faire un résumé de ce qu’il s’est dit. Le jeudi 4 mai, c’était au tour de Bernard Benhamou, secrétaire général de l’institut de la souveraineté numérique (ISN), de s’exprimer au sujet de l’application de ByteDance.
Les données sur TikTok, un outil dans la stratégie de la Chine
Bernard Benhamou s’est avant tout concentré sur les données collectées et leur importance pour un gouvernement comme celui de la Chine. « Ne pas considérer que c’est neutre que de percevoir autant de données, y compris les données biométriques, les données émotionnelles » est une erreur. « Aussi bien l’empreinte digitale que l’empreinte faciale peuvent être captées […] et on voit bien que ça peut avoir des répercussions sur l’analyse comportementale de manière importante », poursuit-il. Selon l’expert, l’enregistrement d’autant de datas sur le comportement des utilisateurs européens entre dans une réelle stratégie de la Chine.
« C’est un élément stratégique dans tous les sens du terme, y compris un contrôle politique des populations, car si vous connaissez plusieurs milliers de paramètres par individu, ce n’est pas les questionnaires d’antan. On est là sur de l’ultra-précision dans chaque levier que l’on peut utiliser chez un individu. Par définition, ne pas les utiliser constituerait de la part des services chinois une sorte de faute professionnelle. » En d’autre termes, cela signifie que l’application peut parfaitement connaître un utilisateur, seulement en analysant sa manière de faire sur l’application. L’équipe a par exemple accès à ses goûts, à ses émotions, à sa manière de se comporter avec les autres, ses idées politiques ou encore son travail et la ville où il habite.
En collectant autant de données, l’un des objectifs est de devenir les meilleurs dans le secteur de l’intelligence artificielle. En captant autant d’informations sur les Européens, la Chine pourrait travailler sur de nouveaux outils toujours plus performants. « L’intelligence artificielle se nourrit de données. Avoir les données structurées de centaines de milliers voire de millions d’entreprises était une chose particulièrement stratégique pour développer des solutions alternatives. Et quoi de plus intéressant pour une société chinoise que de pouvoir extraire des données sur l’ensemble des citoyens de la planète, en particulier dans les pays développés, mais pas que », explique-t-il.
Une « guerre froide technologique »
Pour Bernard Benhamou, nous sommes actuellement dans le début d’une guerre froide technologique. « Face à que l’on pourrait appeler le début d’une guerre froide technologique sino-américaine avec des conséquences qu’il nous faudra évaluer dans le temps », précise-t-il. Encore actuellement aux États-Unis, et depuis plusieurs années déjà, le gouvernement réfléchit à une possible interdiction de l’application sur le sol américain. Le Montana est le premier État à avoir voté son bannissement. Il devrait entrer en vigueur au début de l’année 2024. La France devrait-elle faire la même chose? Selon Bernard Benhamou, le plus important aujourd’hui est de réfléchir à des outils qui pourraient venir concurrencer les applications chinoises ou américaines pour éviter d’être dépendants.
« De manière générale, nous avons sous-estimé l’usage qui pouvait être fait de ces données à des fins de contrôles des individus, des populations. Et je précise que c’est l’obsession permanente de régimes autoritaires que de contrôler leur population. […] Nous devons nous poser la question de savoir si l’extraction des données doit être poursuivie et si ces modèles ne sont pas devenus à tel point toxiques, qu’ils devraient être remis en cause. […] L’affrontement qui devra nous agiter dans les temps à venir en Europe sera un affrontement entre différents types de valeurs, mais aussi différents types de données économiques, » confie-t-il.