LinkedIn. Entre deux annonces d’emploi sur LinkedIn, il n’est plus étonnant de tomber sur une publication bien plus personnelle. Le 10 mai par exemple, Amélie Favre Guittet prend sa plus belle plume pour parler d’un sujet RH, mais qui s’éloigne un peu de la thématique. Dans ce post réunissant près de 8000 j’aime, l’experte du domaine y précise être mariée et que son non désir d’enfant a toujours été remis en question à chaque étape de sa vie, même lors de sa recherche d’emploi. Pour ce premier exemple, nous sommes d’accord, elle arrive tout de même à rattacher son discours au monde de l’entreprise en y parlant des entretiens d’embauche et de cette question que certains osent poser « avez-vous prévu d’avoir des enfants ».
Quelques jours plus tard, c’est au tour d’une autre influenceuse B2B de se démarquer grâce à un post plus personnel. Le 20 mai, Nina Ramen y parle d’avortement. Dans cette longue publication, elle se confie sur la fois où elle a eu recours à cette pratique. En parallèle, elle délivre sa propre analyse, sachant qu’une femme sur trois a déjà avorté. Si vous la suivez depuis longtemps, ce type de publications n’est pas anodin pour Nina Ramen. Elle affirme de plus en plus dans ses écrits, sa position féministe.
De plus en plus souvent, ces publications personnelles, qui peuvent parfois être beaucoup plus légères, prennent un peu plus de place. Si bien qu’aujourd’hui, il n’est plus rare de tomber sur une publication de chats enregistrant plus de 100 j’aime. Cet utilisateur a même pris l’habitude de publier de nombreuses histoires autour des animaux, parfois avec une morale, parfois sans. Juste avec l’envie de partager un peu de sa passion. Ce qui reste étonnant est le choix de la plateforme. Pourquoi être venu sur LinkedIn alors que ce type de post a davantage sa place sur Facebook?
Quand la famille débarque sur LinkedIn
Jérémy Boissinot, cofondateur de la plateforme Favikon, a sa propre analyse. « On assiste à une Facebookisation de LinkedIn. J’ai mon oncle qui vient tout juste de s’inscrire », précisait-il au Gens d’Internet lors d’un événement « Café de l’influence« . Il est loin d’être le seul à avoir cette vision. Pierre, un parisien trentenaire travaillant dans le secteur du médical, s’étonne de voir ses parents s’intéresser à son activité sur la plateforme. « Je vois quand un nouveau membre de ma famille s’est inscrit sur LinkedIn. Il passe quasiment quotidiennement sur mon profil », nous indique-t-il en souriant. Ils recherchent certainement la dernière nouvelle le concernant.
Pourtant, sur ce réseau professionnel, il n’a pas pas pris l’habitude de s’exprimer. Il n’a posté aucune publication au cours de ces dix derniers mois. Mais il s’y connecte régulièrement. « Sans trop comprendre pourquoi, quand j’ai cinq minutes devant moi, c’est l’application que j’ouvre ». Ses collègues ont le même réflexe. « Je le vois quand ils sont sur leur ordinateur ». Exit Instagram et Facebook, les pauses se font désormais sur la plateforme développée par Microsoft. L’objectif est de tomber sur une information intéressante pour soi ou pour le secteur dans lequel on travaille.
Depuis le confinement, les publications sur LinkedIn se sont multipliées tout comme le nombre d’inscription. En 2022, en France, la plateforme compte 24 millions d’utilisateurs. Et parmi eux se cachent les nouveaux influenceurs. S’il y a encore quelques années, le Top Voices, un classement des utilisateurs les plus influents sur la plateforme, ne mettait en avant qu’une vingtaine de profils, aujourd’hui, ils sont beaucoup plus nombreux et on les appelle les Creators. Des dizaines d’utilisateurs ont été invités à se revendiquer comme tels, après avoir reçu l’invitation d’un Creator Manager de chez LinkedIn ces dernières semaines. L’intérêt? Être suivi par l’équipe pour proposer du contenu pertinent et tester les nouvelles offres. Car si ces derniers mois, votre LinkedIn ressemble plus à un Facebook qu’à un réseau professionnel, c’est que le contenu y a évolué. « LinkedIn, ce n’est plus un réseau social professionnel. Les gens attendent du contenu léger », analyse Jérémy Boissinot. N’oublions pas que la majorité des personnes qui s’y expriment, y recherchent de la visibilité pour leur entreprise.
Du clickbait, de l’émotion…
« C’est devenu un réseau social à part entière, et plus seulement un lieu pour les commerciaux et les RH. Avec 24 millions d’inscrits en 2022 en France, la communication y est ultra-concurrentielle puisqu’il y a de plus en plus d’utilisateurs et des personnes qui ont de moins en moins le temps de se concentrer sur une publication », nous informe Clifford Mahu, cofondateur de l’agence spécialisée LinkedIn, Les Années Folles. Étant donné que les utilisateurs sont de plus en plus nombreux à s’exprimer, il faut trouver des petites astuces pour se démarquer. L’une d’entre elles est connue de tous: intriguer un maximum son lecteur pour qu’il consomme votre récit. Mais pas seulement.
« Sur LinkedIn, la majorité des contenus sont impersonnels et professionnels. Une photo de toi humanisera tout de suite le post », précise Maud Alavès dans l’une de ses newsletters. Spécialiste du réseau social, elle accompagne les dirigeants dans leur communication sur la plateforme. En plus d’y ajouter un peu de soi, elle conseille également de poster une photo. « Par exemple, sur le post en dessous, l’accroche peut paraitre assez pédante (soyons honnêtes !), mais comme je souris, ça change tout. Je suis juste une nana dans son salon qui est contente d’avoir accompli quelque chose. J’enlève la distance qu’il pourrait y avoir entre mon lecteur et moi. J’humanise le propos », poursuit-elle, comme vous pouvez le lire juste ici.
Parfois le ton sera alors volontairement clickbait pour inciter au maximum aux échanges, mais ça n’est plus suffisant. « Les premières secondes d’attention sont de plus en plus importantes. Il faut intéresser notre cible en jouant sur l’émotion, avec des contenus qui touchent facilement les internautes », poursuit Clifford Mahu, avant d’apporter une nuance. « Cette manière de faire n’est pas nouvelle. Depuis de nombreuses années, les créateurs sur LinkedIn utilisent cette méthode. C’est juste qu’aujourd’hui, ça s’est démultiplié. »
Côté créateurs de contenu, cette volonté de montrer un peu plus de sa vie personnelle divise. Pour Inès Sivignon, talent du label Les Années Folles et Creators sur la plateforme, la démarche de se connecter à ce réseau sociale avait un seul but: apprendre. « Il y a parfois du personnel, mais pour moi, il faut qu’il y ait une leçon derrière. Le problème que je remarque, c’est que ces posts là ont un but inspirationnel, ce qui est déjà pas mal, mais sans conseils concrets derrière. Ça va être « moi je me lève à 5h du matin et je m’en porte pas plus mal » ou à l’inverse, « je me lève à midi et ça va ». Waouh tellement disruptif, mais en soit derrière, tu te dis et alors? J’ai peur qu’on perde ce côté de LinkedIn où l’on apprend », nous confie-t-elle.
Malgré cette crainte, l’influenceuse B2B et Creators, rédactrice Web et formatrice, a dû réfléchir à faire évoluer son contenu. Dorénavant, l’un des deux posts qu’elle met en ligne durant la semaine sera un poil plus personnel que le premier, qui se concentre davantage sur les conseils qu’elle peut apporter. « Je ne peux pas critiquer cette mode non plus, parce que les modes et les tendances ce sont les utilisateurs de LinkedIn qui les créent finalement. Si personne ne like derrière, ça ne devient jamais une tendance. Donc si ça le devient, c’est que les gens aiment ça », affirme-t-elle.
Sur LinkedIn, comme sur Facebook, « on a l’algorithme que l’on mérite »
Ce phénomène de « facebookisation » de la plateforme est-il visible de tous? Encore une fois, Clifford Mahu tient à faire une précision. « Les contenus que l’on voit, sont les contenus que l’on a aimé. Cette facebookisation concerne les personnes qui consomment LinkedIn, peut-être de la mauvaise manière, puisqu’ils passent leur temps à consommer des contenus qui ne sont pas du tout professionnels. À l’inverse, si l’on est responsable dans son mode de consommation, l’algorithme va pousser dans notre fil d’actualité les posts qui nous intéressent », conclut-il.
Même si l’algorithme entre en jeu, le constat est évident. Des publications qui, encore il y a quelques années, auraient été partagées sur Facebook sont visibles sur la plateforme professionnelle. On y trouve désormais des récits sur les fausses couches, les anniversaires de mariage, les divorces, les problèmes de garde d’enfant ou encore les ruptures amoureuses. Ces thématiques bien éloignées du monde du travail signent une nouvelle évolution de LinkedIn. Les créateurs de la plateforme ne peuvent pas faire comme si de rien n’était. « On est un peu obligé de se mettre dans le sillon de ce qui fonctionne, parce que ça reste un outil business, c’est une stratégie qui nous permet d’avoir de la visibilité », finit par avouer Inès Sivignon. Le plus gros du travail va être d’éviter de tomber dans la caricature. À vous d’aimer les bonnes publications, car, comme dirait Clifford Mahu, « on a l’algorithme que l’on mérite ».