Influenceurs. Ces deux derniers mois, la vie des créateurs de contenu a repris de plus belle. Une bonne vingtaine d’entre eux, si ce n’est beaucoup plus, ont été vus au festival de Coachella. Quelques semaines plus tard, ils se sont retrouvés au Festival de Cannes. Et côté projet, les influenceurs nous réservent également de belles surprises, à l’image de Squeezie. Au mois d’octobre prochain, il réalisera une course automobiles avec d’autres créateurs de contenu sur le circuit des 24h du Mans. Même si vous ne pouvez pas y assister, il sera possible de suivre cet événement en ligne. Elle n’est pas belle la vie?
Si l’on ne se pose pas plus de questions sur l’impact de ces différentes actions sur la planète, la vie est belle et les contenus des influenceurs sont agréables à consommer. Mais quand une partie de la société se concentre sur le réchauffement climatique et se préoccupe des dernières révélations mises en évidence dans le rapport du Giec, ces contenus et virées à droite et à gauche deviennent rapidement angoissantes. « Ça fait quelque temps que je n’en peux plus de voir des concours, des tonnes de vêtements de telle ou telle marque, de remarquer les allers-retours en avion pour des week-ends ou encore le projet vidéo sur la course de formule 1 avec Squeezie. C’est un trop plein en plus des élections », explique Estelle au site Les Gens d’Internet.
Nous sommes un groupe d'étudiant.e.s de 20-24 ans et nous en avons marre, c'est la raison pour laquelle nous avons écrit cette lettre.
Il est temps pour les influenceurs et influenceuses d'ôter leurs œillères concernant les enjeux environnementaux pic.twitter.com/LmNRBaPIr6— EstL (@estelle_hsg) May 3, 2022
Une lettre destinée aux influenceurs pas écolos
Cette étudiante en Master affaires internationales et développement à Paris Dauphine a décidé d’agir et de ne pas rester sans rien faire. Avec plusieurs camarades de promo, ils ont rédigé une lettre à destination des influenceurs. Ils l’ont ensuite publié le 3 mai dernier sur les réseaux sociaux pour qu’elle touche le public visé. « Votre dernier grand rendez-vous était à Los Angeles, pour le festival Coachella. Pour respecter les Accords de Paris pour le climat, notre budget carbone se doit d’être 2t eqCO2 par personne par année. Un aller-retour Paris-Los Angeles émet au minimum 3,28t eqCO2. Félicitations, vous avez déjà explosé votre budget annuel », écrivent-ils avec ironie.
Angoissés et déçus de ne pas avoir autant de personnalités du Web que ça prendre position sur un tel sujet, les membres du collectif d’étudiants espèrent pouvoir leur faire comprendre qu’ils doivent s’en saisir. « On leur dit de faire plus attention à ce qu’ils font, que ce sont des exemples, et que des jeunes les suivent. L’idée de leur dire que la surconsommation est égale au bonheur, ce n’est pas vrai. Ils ont un rôle à jouer dans ces changements. Ce n’est pas parce que ce n’est pas leur métier qu’il faut qu’il passe à côté de ça. On a besoin d’eux dans ce combat », poursuit Estelle.
Sur les réseaux sociaux, la lettre a été vue et lue par des milliers de personnes. Mais les principaux concernés n’ont pas réagi à l’appel des étudiants. « C’était clairement une bouteille à la mer, ça a un peu mieux marché que ce qu’on pensait, mais on n’a pas de suite pour les interpeller vraiment, nous confie Estelle. J’ai du mal à être très optimiste, car je n’ai pas l’impression qu’ils se sentent très concernés par toutes ces questions », finit-elle par dire.
Un manque de formation et d’intérêt autour du climat
Le message de cette lettre est claire: il est temps de faire bouger les choses. « Informez, expliquez, apprenez. Il ne s’agit pas d’une question politique. Il ne s’agit pas de l’intérêt de quelques personnes, il s’agit d’un enjeu global dont personne ne sortira indemne », concluent les étudiants. Il manque en effet une réelle formation des influenceurs à ce sujet. Amélie du collectif « Pour un réveil écologique » est également de cet avis. Pour mieux informer le monde de l’influence sur ce gros dossier et créer de l’intérêt autour de ces sujets, le groupe a lancé au début de l’année « Paye ton influence ».
Sur les réseaux sociaux et via un podcast du même nom, ils expliquent l’impact de ce milieu sur la planète, mais pas seulement. Dans l’émission audio, des créateurs de contenu qui ont opté pour un virage écolo sont mis en avant. L’objectif est de pousser les créateurs de contenu à réfléchir sur le sujet, mais également à intéresser les jeunes via une thématique qu’ils connaissent bien: l’influence. « Les influenceurs sont en totale déconnexion des enjeux actuels, sociaux et écologiques, dans leur mode de vie. Derrière, il y a de nombreuses répercussions, comme le réchauffement climatique. Ils ont le pouvoir de dire ce qui est cool ou pas, mais ils préfèrent influencer toute une génération à un mode de vie qui n’est pas viable sur le long terme. Il faut qu’il y est un réveil écologique dans ce monde-là », indique Amélie au site Les Gens d’Internet.
Pour que l’enjeu écologique soit davantage intégré dans le milieu du marketing d’influence, Paye ton influence n’hésite pas à interpeller directement les marques et les influenceurs. Le collectif l’a fait récemment en prenant à parti Benefit. La marque a invité cinq influenceurs français pour un voyage à Hawaï afin de découvrir le tout dernier produit de la marque. Pareil du côté d’Etam qui a convié de nombreux créateurs de contenu en Corse pour venir voir le dernier défilé de la marque. Un avion leur a même été réservé pour faire le déplacement. « C’est regrettable de se dire que ce monde-là ne va pas changer si on ne met pas un pied dans la fourmilière », poursuit Amélie.
Le rôle des abonnés des influenceurs et des marques
Malgré ces différentes actions, Estelle comme Amélie savent que ces communications auront un impact minime sur le monde de l’influence. Elles ont besoin d’aide d’autres personnes qui consomment le contenu des créateurs. L’enjeu principal pour elles est de voir les abonnés des influenceurs les interpeller sur des sujets de ce type. Si la communauté des créateurs de contenu, qui est tout pour eux puisque c’est grâce à ces personnes qu’ils vivent de leur activité, se détache peu à peu de ce qu’ils font, ou multiplie les critiques, les personnalités du Web devront se remettre en question pour ne pas tout perdre. « Les gens sont assez renseignés et commencent un peu à alerter les influenceurs qu’ils suivent. Cette pression qui vient de l’audience est un levier intéressant et nous permet de jouer sur la légitimité. Un influenceur pourrait ainsi devenir hasbeen s’il a un comportement qui ne prend pas en compte les enjeux écologiques. Ce qui peut forcément entraîner une réflexion chez lui pour comprendre pourquoi son audience ne se retrouve plus en lui », explique Amélie.
Les marques peuvent également faire pression et pousser certains profils à changer leurs habitudes. Amélie prend l’exemple de L’Oréal, qui, si la marque veut rester crédible sur sa stratégie de transition écologique et tous ses efforts pour réduire son empreinte carbone, va devoir arrêter ses collaborations avec des influenceurs qui ne s’en préoccupent pas. Sinon, le message risque d’être mal compris par une majorité des consommateurs.
Malgré ce gros chantier, Amélie reste optimiste. De grandes figures du monde de l’influence ont déjà changé radicalement leurs contenus pour répondre à ces enjeux écologiques. Elle prend l’exemple d’EnjoyPhoenix ou encore de la YouTubeuse Swann Périssé. Des profils comme My Better Self ou encore Clara Victorya prônent la seconde main. Amélie voudrait qu’elles aillent plus loin. « Elles ne se sentent pas légitimes face aux autres influenceurs de porter une voix dans leur milieu, mais on a besoin de ça. On a besoin que les grosses communautés disent aux autres « réfléchissez à deux fois quand vous promouvez ce type de choses », ça amènera une dynamique. » Pour que cet élan prenne, les influenceurs sont finalement les seuls à pouvoir faire bouger les choses.