Influenceurs. Depuis plusieurs mois maintenant, la DGCCRF multiplie les contrôles sur les comptes des réseaux sociaux des influenceurs. Des profils comme Melanie Orl, Capucine Anav, Julien Bert ou encore Simon Castaldi ont été contraints de préciser à leurs abonnés qu’ils avaient reçu une injonction, leur rappelant que tous les partenariats doivent être précisés. Durant l’été, de nouveaux profils ont été dévoilés. Tous n’ont pas suivi à la lettre les règles établies par la loi sur les influenceurs, votée le 9 juin dernier.
Voir son nom affiché sur les réseaux sociaux de la DGCCRF en refroidit plus d’un. Comment se passe réellement une enquête? Comment les influenceurs savent-ils qu’ils sont surveillés? Comment peuvent-ils être accompagnés? Pour répondre à l’ensemble de ces questions, nous nous sommes entretenus avec Nikita Yahouedeou, avocate au sein du cabinet Signature Litigation. Elle a déjà pu accompagner plusieurs créateurs de contenu dans ce genre de procédures.
La DGCCRF et les influenceurs, comment ça se passe?
Comment un influenceur sait qu’il est surveillé par la DGCCRF ?
Un créateur de contenu sait qu’il est surveillé par la DGCRRF, lorsque la DGCCRF l’en informe. Concrètement, cela signifie que c’est lorsque l’enquête est terminée que le créateur découvre qu’il a fait l’objet d’une surveillance.
Cette information se fait par un ou plusieurs courriers dans lesquels la DGCCRF informe le créateur de contenu:
- qu’une enquête a été effectuée : très peu de détails sont donnés à ce stade sur les constatations qui ont été faites.
- que des manquements sont reprochés à l’influenceur : l’infraction est précisée (par exemple, des pratiques commerciales trompeuses), mais pas le détail des faits qui la constituent.
- d’une demande de documents à fournir à la DGCCRF : l’autorité va demander des documents tels que des bilans comptables, des contrats ou des factures. L’objectif est d’identifier les annonceurs avec lesquels le créateur a un contrat pour déterminer ce qui relèverait d’une collaboration ou non ainsi que d’obtenir des données chiffrées sur l’activité de l’influenceur qui permettront à la DGCRRF de calculer l’amende à infliger à l’influenceur, le cas échéant.
- une convocation à une audition libre à laquelle l’influenceur devra se rendre.
Par conséquent, lorsqu’un influenceur apprend qu’il a été surveillé par la DGCCRF, l’enquête est déjà terminée. La DGCCRF a déjà son opinion sur le comportement de l’influenceur et elle enclenche le processus conduisant vers la sanction.
Par ailleurs, lorsque la DGCCRF a enquêté sur un influenceur mais n’a identifié aucun manquement nécessitant des poursuites, elle ne l’en informe pas. Il est donc tout à fait possible que certains créateurs de contenu aient fait l’objet d’une surveillance par la DGCCRF mais l’ignorent.
Il est à préciser que la DGCRRF est l’autorité centrale de la répression des fraudes et qu’elle a compétence nationale. Il existe également des entités départementales de la répression des fraudes (les Directions Départementales de la Protection des Populations, dites « DDPP ») qui sont habilitées à faire des contrôles dans leur département. Ainsi, on observe que d’une DDPP à une autre, les pratiques d’enquête peuvent parfois légèrement varier.
Quelles sont les différentes étapes d’un contrôle ?
Avant le déclenchement du contrôle, il y a la prise de décision de la DGCCRF de contrôler un créateur de contenu en particulier. Cette décision peut être prise à la suite de la réception de signalements de consommateurs par exemple, ou encore, la DGCCRF a reconnu consulter les comptes qui dénoncent les pratiques de certains influenceurs donc un contrôle peut suivre à la suite de publications sur ces comptes. La DGCCRF peut aussi décider de contrôler un influenceur de sa propre initiative et pour des raisons qui lui sont propres (la notoriété du créateur de contenu, qui pousse la DGCCRF à s’intéresser à ses pratiques par exemple).
Du côté du créateur de contenu, la première étape est donc la réception d’un ou plusieurs courriers contenant les différentes informations présentées précédemment, dont la convocation à une audition libre.
Pendant l’audition, l’influenceur sera face à un ou plusieurs agents de la DGCCRF qui vont lui présenter les faits reprochés, demander des explications et poser toutes questions qu’ils estiment pertinentes. Le créateur pourra quant à lui formuler toutes les observations qu’il souhaite. C’est au cours de cette audition que ce dernier saura exactement, et pour la première fois, quels contenus ont constitué l’infraction et pour quelles raisons. L’échange sera pris en note par la DGCCRF et consigné dans un procès-verbal qui pourra être relu puis signé en fin d’audition par le créateur de contenu.
Ensuite, il recevra un courrier de la DGCCRF lui indiquant les suites que l’autorité souhaite donner au contrôle. Elle peut décider d’abandonner les poursuites à ce stade ou au contraire d’infliger une sanction. Dans le cas d’une injonction par exemple, ce courrier sera donc un courrier pré-injonction octroyant un délai à l’influenceur pour faire ses observations par écrit. D’autres sanctions sont aussi possibles comme l’avertissement ou l’amende. Aussi, la DGCCRF peut décider de transférer le dossier aux autorités pénales afin qu’une sanction pénale soit également prise.
L’autorité prendra ensuite sa décision définitive. Si l’on reprend l’exemple de l’injonction, le courrier constituera cette fois-ci un courrier d’injonction (et non plus de pré-injonction) et il indiquera au créateur de contenu s’il doit faire apparaître sur ses réseaux sociaux certaines mentions, comme on a pu le voir sur certains comptes récemment.
Enfin, le créateur de contenu aura la possibilité de former des recours devant la DGCCRF elle-même ou devant les tribunaux contre la décision prise. Toutefois, ces recours ne sont pas suspensifs donc cela signifie que la sanction devra être appliquée durant le déroulé de ces recours.
Pourquoi les créateurs se tournent-ils vers des avocats ? Quel est votre rôle ?
Le rôle de l’avocat sera de conseiller et d’accompagner le créateur de contenu dans le cadre de ce contrôle et même ensuite. Cela se fait dès la préparation de l’audition (à laquelle l’avocat peut assister avec le créateur de contenu) jusqu’au lancement de recours devant les tribunaux le cas échéant. Dans la majorité des cas, les créateurs de contenu ne pensent pas à recourir aux services d’un avocat alors que sa présence sera primordiale pour contribuer à ce que les échanges soient pertinents, constructifs et efficaces. Aussi, en tant que professionnel du droit, il aidera le créateur de contenu à préparer sa défense pour éviter la sanction lorsque cela est possible ou en tout cas, faire en sorte d’éviter des sanctions non justifiées légalement ou disproportionnées au regard du dossier, de l’état du droit et de la jurisprudence. Les créateurs de contenu doivent être également conscients du fait que les influenceurs de télé-réalité ne sont pas les seuls à faire l’objet de contrôles, de sanctions et que toutes les sanctions ne font pas l’objet du fameux « name and shame ». En effet, des créateurs de contenus qui ne sont pas issus de la télé-réalité sont aussi contrôlés et sanctionnés, sans que cela ne soit nécessairement publicisé.
Le rôle de l’avocat est donc ici très important et la dynamique de contrôle sera autre en présence de l’avocat. Avec la création de la « brigade de l’influence commerciale » de la DGCCRF, les contrôles seront plus nombreux et de viseront potentiellement des pratiques autres, comme celles des agences par exemple.
Les créateurs de contenus peuvent aussi recourir aux services d’un avocat en dehors de tout contrôle pour les accompagner dans leur activité afin de faire en sorte que leur contenu soit moins susceptible de générer des sanctions, de vérifier ou rédiger des contrats, ou encore de se faire conseiller sur les risques liés à certains partenariats par exemple.
Tous les autres acteurs du secteur de l’influence (annonceurs, agences etc…) peuvent également recourir aux services d’un avocat pour vérifier que leur activité se fait dans le cadre de la loi, ne soit pas de nature à engager leur responsabilité ou dans le cadre de leurs contrats par exemple.
Pourquoi, selon toi, est-il important de faire appel à un profil comme le tien ?
Selon le domaine en question, il est toujours recommandé de faire appel à un avocat spécialisé. Pour ma part, je suis à la fois avocate en droit des affaires et diplômée d’HEC Paris. J’ai par conséquent une parfaite compréhension des enjeux juridiques que rencontrent les différents acteurs du secteur de l’influence et de la publicité plus généralement, mais aussi des contraintes que ces acteurs peuvent rencontrer au quotidien, d’un point de vue business. Je comprends donc parfaitement mes clients, ce qui me permet de les conseiller et de les défendre plus efficacement.
J’ai aussi par le passé eu l’occasion de travailler dans des directions juridiques d’entreprises dont l’activité est soumise à des règles strictes sur la publicité donc j’ai souvent été confrontée à ces problématiques. Par ailleurs, l’accompagnement des entreprises dans le cadre de contrôles de la DGCCRF fait partie de mon activité régulière en tant qu’avocate, que ce soit pour des entreprises du secteur de l’influence ou non.
Enfin à titre personnel, j’ai assisté de près à la naissance et à l’essor du marketing d’influence ainsi que de tous les métiers qui ont été créés ou se sont développés autour de cela. C’est donc un secteur que je connais, que je comprends et dans lequel je prends plaisir à travailler.