TikTok. Depuis le lundi 13 mars, la commission d’enquête au Sénat concernant TikTok a débuté. L’objectif est de comprendre comment l’application fonctionne, où vont ses données et quelle est la stratégie d’influence la concernant. Pour mener à bien ce travail, un Bureau a été constitué d’une douzaine de sénateurs. Mickaël Vallet, sénateur socialiste de Charente-Maritime, dirige les discussions. Il est accompagné de Claude Malhuret, sénateur de l’Allier, en tant que rapporteur. Ils sont entourés d’une dizaine de vice-présidentes et vice-présidents présents lors des échanges avec les spécialistes.
« L’actualité aux États-Unis, au Canada, et en Europe, confortent notre initiative au Sénat. Nous ne sommes pas en mesure d’affirmer que TikTok n’est pas un instrument potentiel de désinformation ou de manipulation au profit de régimes non démocratiques, ni que son utilisation est sûre au regard de la nécessaire protection des données. La commission d’enquête permettra de faire toute la lumière sur ces questions et fera des recommandations », indique Claude Malhuret sur le site du Sénat.
Les auditions de la commission d’enquête sont diffusées en direct et sont disponibles en replay sur YouTube. Nous avons pris le temps de les regarder en intégralité pour vous faire un résumé de ce qu’il s’est dit. Le 3 avril, Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation (Université Paris Cité) et directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant (LaPsyDÉ – CNRS) a été entendu.
L’impact des réseaux sociaux chez les enfants
Le premier constat que fait le spécialiste est simple. TikTok est encore trop jeune pour que l’on puisse avoir des données fiables sur son impact chez les enfants. Il y a « très peu de donnée sur les problématiques de TikTok, du point de vue de ce que ça provoque sur le cerveau en développement et sur les compétences cognitives et socio-émotionnelles de l’enfant et de l’adolescent », débute-t-il son intervention. L’application connaît une popularité grandissante depuis l’année 2020. Or, pour avoir des résultats pertinents, les études montrées par Grégoire Borst se déroulent sur plusieurs dizaine d’années. « La difficulté qui est la nôtre aujourd’hui, c’est que l’on essaie d’avoir des réponses sur l’utilisation des réseaux sociaux, et ce que ça peut produire sur le développement cognitif et socio-émotionnel avec un temps de recul qui est extrêmement faible », poursuit-il.
Il y a cependant des phénomènes que l’on comprend bien chez les adolescents. Leur cerveau fonctionne beaucoup aux récompenses. « La particularité du cerveau des adolescents, c’est qu’il est très focalisé sur les récompenses. Il répond plus fortement, et notamment son système limbique, à une récompense espérée. Ça explique aussi pourquoi, les adolescents s’engagent plus dans des situations de prises de risques. » Ce qui explique également leur forte présence sur les réseaux sociaux. Sur ces applications, les récompenses y sont omniprésentes via les likes, les repartages, les commentaires ou encore les messages. Elles sont aussi instantanées.
Le bien-être des adolescents en ligne
Même si ces adolescents arrivent à se satisfaire de ces récompenses, sont-ils pour autant heureux en ligne? La question n’est pas simple à répondre. Pour le faire, Grégoire Borst se base sur une étude. Si on prend un « individu donné, le temps qu’il passe sur l’écran et la variation de son bien-être: plus il passe du temps sur les écrans, plus on a une diminution de son bien-être. Paradoxalement, pour ceux qui dépassent plus de 3 à 4h de temps passé sur ses réseaux sociaux, on a une augmentation du bien-être. Donc, ce n’est pas linéaire du temps que l’on passe sur ces écrans. […] On ne peut pas, d’une certaine manière conclure dans un sens ou dans un autre, pour expliquer qu’il y a des effets extrêmement négatifs sur ces réseaux sociaux ou extrêmement positifs. C’est ni l’un, ni l’autre. Ça dépend des prédispositions psychologiques de ces adolescents », commente-t-il.
Si sur ce point, il est difficile de répondre, le psychologue donne en revanche d’autres indications avérées. « Si vous avez une bonne estime de vous-même et que vous allez sur un réseau social et que vous rentrez dans une situation de comparaison sociale, ça va plutôt avoir un effet positif sur votre estime de vous. Si vous venez avec une estime de vous négative, mauvaise. Vous allez sur un réseau social, cette comparaison sociale va aboutir à une diminution de votre estime de soi », indique-t-il. Un autre point concerne le sommeil des adolescents. L’heure de leur coucher se décale de plus en plus, en partie à cause de ces applications. « Leur cycle de sommeil est en train de se décaler de plus de 2h ».
Peut-on pour autant dire qu’ils sont addicts à ces plateformes? « En l’état de nos connaissances, il n’y a pas d’addiction du même ordre que celle engendrée par la prise de substance psycho-active ou de la consommation d’alcool parce que, pour le moment, nous n’avons pas de données, qui semblent suggérer une modification de la concentration de certains récepteurs à la dopamine. […] Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas des comportements addictifs sur ces réseaux là. » Ce qui ne veut pas dire non plus qu’il n’y a pas une utilisation excessive.
TikTok est aujourd’hui difficile à analyser, car l’application est beaucoup trop jeune. D’une manière plus générale, les spécialistes ont encore trop peu de recul pour expliquer concrètement l’impact des réseaux sociaux sur la vie des adolescents.